Le 3 décembre 2024, l’association, groupe de réflexion et d’expertise « Forum Vies Mobiles », restituait les résultats de sa dernière enquête participative sur les déplacements et les modes de vie à l’Académie du Climat à Paris. La FGTE-CFDT y était représentée par son secrétaire général pour une table ronde avec Marie Pochon, députée (groupe Ecologistes) et Annelise Avril, directrice des grands réseaux urbains (KEOLIS)
Cette enquête menée auprès de 12000 citoyennes et citoyens portait sur les mobilités liées au temps libre du quotidien : un sujet rarement traité bien qu’il concerne très directement les politiques de transport et de mobilité. Ainsi les Français-es disposent de 36 heures de temps libre par semaine en moyenne mais sur des temps fractionnés et passent autant de temps à se déplacer pour leurs loisirs que pour leur travail. Ils se déplacent toutefois moins loin et plus lentement dans ce cadre (environ 100 km par semaine en moyenne). 82% de ces déplacements sont effectués en proximité à moins de 20 km du domicile. Ces moyennes cachent de fortes disparités en fonction du revenu, de l’âge et surtout du genre, puisqu’une femme avec enfant voit son temps libre se réduire de 25% et les distances parcourues sur son temps libre limitées à une plus grande proximité.
Dans un avis co-rapporté par C. Caillet (CFDT) le Conseil économique social et environnemental (CESE) a pris la mesure d’une forte aspiration sociale à un meilleur équilibre entre temps de travail et temps libre, sans doute renforcée par la crise sanitaire de 2020-2021. Au-delà de cette aspiration générale à ce meilleur équilibre, plusieurs nouvelles modalités d’organisation du travail sont apparues : semaine de quatre jours, télétravail… Dans leur possibilité d’accès comme dans leur adéquation aux diverses situations de travail ces initiatives font l’objet d’appréciations diversifiées de la part des travailleuses et travailleurs. Dans le cadre d’une participation citoyenne réalisée par le CESE auprès de 10600 citoyennes et citoyens, on note par exemple que les plus jeunes générations veulent davantage sanctuariser un temps de déconnexion du travail, tandis que les générations d’actifs les plus anciens acceptent majoritairement une liberté de connexion-déconnexion au travail pour pouvoir s’organiser. Il existe une aspiration au temps libre continu chez les jeunes plus forte que chez les plus anciens qui préfèrent une flexibilité dans l’organisation. Les femmes se retrouvent majoritairement également dans l’aspiration à une plus grande liberté d’organisation mais cette tendance est directement reliable aux contraintes d’organisation plus fortes auxquelles elles restent davantage soumises que les hommes (accompagnement des enfants, exercice de plusieurs emplois à temps partiel…).Il y a donc aussi beaucoup d’inégalités dans l’accès réel au temps libre par l’utilisation de ces nouvelles formes d’organisation du travail et il existe par ailleurs le risque d’une plus forte intensification du travail en cas de concentration des activités sur un temps limité ou sur des possibilités de sollicitations professionnelles non régulées.
L’avis du CESE se garde de promouvoir une solution mais prône plutôt une ouverture de l’ensemble du panel des solutions aux situations réelles du travail en renforçant le dialogue social. Il pointe que la problématique du temps libre s’articule en fait autour de trois objectifs à atteindre par des mesures concrètes :
- Le Temps libre à protéger : la notion doit être définie et protégée juridiquement car le temps libre et le temps de repos sont 2 notions bien différentes. Or il n’existe qu’une définition négative du temps libre dans le code du travail : tout ce qui n’est pas du temps de travail serait du temps libre ;
- Le Temps libre à libérer (aides à la garde d’enfants, politiques sociales en direction des aidants : par exemple élargir le spectre des situations qui permettent de s’absenter au titre de l’aidance familiale), partage de responsabilités familiales ; mobilité, logement)
- Le temps libre à valoriser, celui de l’engagement (prise en compte des compétences acquises au titre des activités associatives ou syndicales, droit à absence ; ).
Le premier objectif passe précisément par une définition explicite pour protéger le temps libre dans le code du travail comme un temps exempt de toute sujétion de l’employeur. Cela supposerait de revoir totalement les critères et conditions de l’astreinte en France, une modalité de travail très répandue dans les transports, qui reste très permissive en France. Pour entrer en conformité avec le droit européen, le recours à l’astreinte devrait être beaucoup plus limité et, s’il continue à être pratiqué, davantage assimilé à du temps de travail effectif.
Enfin l’avis du CESE porte un regard critique sur la tendance à la marchandisation du temps libre notamment par les moyens numériques qui sont susceptibles d’en aliéner une partie. Il s’agit donc de prôner une politique ambitieuse d’accompagnement du temps libre qui facilite l’accès à des loisirs collectifs et émancipateurs (création d’équipements culturels, sportifs, accessibles à tous).
Pour la FGTE, S. Mariani a rappelé ensuite certaines propositions soutenues par la CFDT en matière de mobilités pour favoriser l’accès de toutes et tous à plus de temps libre et une plus grande variété de loisirs.
L’avis du CESE « Quelles solutions pour des mobilités durables et inclusives en zones peu denses ? » montre qu’il n’y a pas de fatalité à une obligation d’utiliser sa voiture pour accéder aux loisirs de son choix et aux moments souhaités. Dans le cadre d’une participation citoyenne qui a réuni 10100 citoyennes et citoyens, l’accès aux loisirs ressort majoritairement en deuxième ou troisième place en fréquence de déplacements quotidiens. 13% des répondant-e-s seulement, plutôt les plus âgés, déclarent ne pas vouloir renoncer à leur voiture pour leurs déplacements quel qu’en soit le motif et même en présence de solutions alternatives. En revanche, à peine 4% estiment que les sorties la nuit ou en soirée sont un obstacle à l’utilisation d’une alternative à la voiture. Au global, cette enquête démontre d’abord une très forte attente pour le rédéveloppement de transports collectifs pour desservir leur territoire.
Parmi les préconisations portées pour répondre mieux à cette attente d’une meilleure accessibilité aux loisirs et aux lieux du temps libre, on peut citer :
- La nécessité de modifier le code de l’urbanisme et de la construction pour imposer une desserte multimode des équipements de services essentiels (y compris équipements sportifs, culturels…)
- La mise en place d’un forfait mobilités durables citoyen pour favoriser l’accès de toutes et tous à une offre de mobilités diversifiée en compensant les inégalités liées aux territoires les moins bien desservis,
- Le redéveloppement des transports collectifs dans le cadre d’une programmation décennale des investissements (dont 40 milliards d’euros pour les mobilités du quotidien en zones peu denses) avec du confort et du service pour que le temps de transport ne soit pas du temps perdu, mais puisse permettre de travailler ou de se distraire ;
- L’intérêt de promouvoir des expérimentations pratiquées par certaines entreprises pour favoriser l’inclusion de tout ou partie du temps de transport dans du temps de travail effectif (recours au télétravail pendent le temps de trajet…)
- La nécessité d’une concertation locale incluant les organisations syndicales (notamment celles représentant les travailleurs du transport) et des citoyens pour mieux faire correspondre la gestion des temps d’activité avec l’organisation des transports à l’échelle d’un bassin de vie ;
- La nécessité d’un dialogue social territorial et notamment de clauses sociales dans les contrats d’opérateurs passés par les autorités organisatrices de transports pour anticiper et concilier les besoins de la population en flexibilité de l’offre et les attentes des travailleurs des transports (métiers en tension avec horaires décalés, notamment nuits et week-ends…).
La FGTE-CFDT a fait siennes l’ensemble des préconisations des deux avis du CESE qu’elle continuera de porter auprès des pouvoirs publics avec un cap : protéger le temps libre pour toutes et tous, concilier les aspirations légitimes des populations à accéder à un temps libre émancipateur et préserver le droit des travailleurs des transports et de l’environnement à des conditions d’emploi dignes et à une meilleure qualité de vie.
Pour en savoir plus :
-Enquête de Forum Vies Mobiles 2024 sur la mobilité liée au temps libre du quotidien
-Avis du CESE sur l’articulation des temps de vie professionnel et personnel
-Avis du CESE sur les mobilités durables et inclusives en zones peu denses